Un éclair… Un instant… Un lieu infinitésimal… Le laps de temps le plus court et le morceau d’espace le plus petit que l’on puisse imaginer… Ce battement de cil primordial - quantique et relativiste, pire des déchirements conceptuels - a déchaîné les forces de la nature. L’espace, le temps et la matière ont surgi. Les quatre interactions universelles - électromagnétiq
- étaient réunies sous le sceau d’une seule force, qui se propage en "cordes" élémentaires dans un espace à… 10 ou 11 dimensions ! Les particules n’existaient que comme excitations harmoniques de ces cordes. Puis soudain, l’espace soumis à une tension, torture, fluctuation irrépressible de sa courbure s’est étendu à tout va. Et l’Univers fut, hautement symétrique et unitaire au début il mena, après une longue suite des transitions de phases, aux atomes et aux galaxies.
Big Bang : description de l’origine ou modèle de l’évolution de l’Univers ?
Depuis le début il y a eu une ambiguïté, un malentendu, entre les scientifiques et le grand public concernant le modèle du Big Bang. Le grand public comprend "Big Bang" comme une description de l’origine de l’Univers. Les scientifiques au contraire appellent "Big Bang" la suite des étapes de l’évolution de l’Univers, depuis un état chaud, dense et très concentré jusqu’à aujourd’hui. Cet état est suffisamment proche de l’origine mais N’EST pas l’origine. La quête pour l’origine de l’Univers se fait de proche en proche, en améliorant avec le temps nos connaissances théoriques et la sensibilité de nos instruments : télescopes et accélérateurs.
Il faut des télescopes pour voir loin, et la relativité nous enseigne que voir loin veut dire "voir en arrière dans le temps." Ceci est devenu presque une connaissance "commune". Mais les accélérateurs ? Quel rôle jouent-il dans cette quête de l’origine ? La réponse est simple : si l’Univers est en expansion, quand on regarde loin dans l’espace on regarde aussi vers les époques où l’Univers était beaucoup plus petit. En extrapolant vers le début des temps on arrivera à des époques où l’Univers avait des dimensions de la taille de l’atome et jusqu’à des fractions infinitésimales des dimensions de l’atome. Les densités d’énergie sont alors énormes, elles ne peuvent se produire qu’en accélérateurs. Les accélérateurs reproduisent l’histoire de l’Univers en laboratoire.
C’est ainsi que la phrase tant fois répétée de "convergence de la recherche de l’infiniment petit avec l’infiniment grand" dans la cosmologie moderne peut se comprendre. On pourrait alors, au lieu de dérouler le fil du temps comme on fait dans ce sagascience, scruter dans l’abîme des subdivisions de la matière et de l’espace et décrire la folle aventure des particules… Comme dans les Mille et une nuits, la saga des dimensions de la matière est maintenant une des histoires de la saga du temps. Mais on pourrait choisir, inversement, de décrire la saga du temps comme un conte auxiliaire de la saga de l’extension spatiale de la matière.
Avertissement au lecteur, un récit pas comme les autres
Qui dit saga dit récit.
La science est en train d’écrire ce récit à l’aide de théories et d’instruments de mesure. Mais tous les éléments de ce récit ne sont pas au même niveau de certitude. Il y a des parties mille fois "recoupées" par des mesures concordantes, et d’autres qui en sont encore au stade de la pure spéculation. Ces dernières font la trame du programme de recherche. Comme dans un roman policier inachevé on suit encore plusieurs pistes.
Par exemple, on sait que 400 000 ans après l’origine, l’Univers devint transparent: les particules chargées qui constituaient un "plasma" en interaction avec la radiation se recombinèrent pour former des atomes neutres. La lumière interagissant peu avec les atomes neutres était alors libre de se propager jusqu'à nous. La lumière libre de se propager vient jusqu’à nous. Par le rayonnement fossile on peut "voir" l’état de l’Univers à ce moment. Mieux encore, on peut extrapoler jusqu’aux premières minutes, le temps de formation des éléments nucléaires primordiaux. On sait qu’on vit dans un Univers plat, rempli de matière et d'énergie noire et d'une partie minuscule de matière ordinaire. Les confirmations expérimentales de ce scénario sont explicitées dans la partie "Faut-il croire au Big Bang ?" de ce site.
Par contre, si on veut s’aventurer plus près de l’origine, on entre dans le domaine de la science en train de se faire. La science non comme un récit mais comme un geste, le geste du doute systématique, de l’élaboration théorique et surtout de l’expérimentation. La partie "Outils" décrit les instruments mis en place pour ce travail et la partie "Enigmes" donne la parole aux scientifiques pour exprimer les questionnements qui muent cette recherche interdisciplinaire, où physiciens théoriciens, astrophysiciens, physiciens des particules, physiciens nucléaires et biologistes collaborent.
Les spéculations de l’origine, l’ère de Planck
Revenons à cette origine, en deçà de la première minute, là où on n’a que des hypothèses et pas de connaissances confirmées. On doit expliquer la formation des protons et des neutrons à partir des quarks, savoir pourquoi la matière a gagné sur l’antimatière, sonder si les forces étaient unifiées, connaître la nature de la matière noire et de l’énergie noire. On a des boussoles théoriques et on les teste dans les expériences de physique des particules. On essaie de raccorder avec les trouvailles extraordinaires des télescopes les plus puissants.
Mais dès qu’on approche le temps 10-43 seconde on tombe sur le "point de fuite" de notre perspective, en analogie complète avec les tableaux faits selon les règles de la perspective. Le point où les rapports analogiques s’estompent, où la singularité apparaît.
Pour l’approcher, il faudra inventer des nouvelles théories. En fait, si près de l’instant zéro – moment primordial où rien de ce que nous connaissons, matière, temps, espace, n’existait – se présente comme le lieu de tous les mystères. C’est le point où la relativité générale d’Einstein – l’une des doctrines physiques les plus solides et les mieux vérifiées par l’expérience – perd de son sens. Les effets de la mécanique quantique – l’autre grand édifice du XXe siècle – s’appliquent de plein droit. Ils disloquent la courbure de l’espace et du temps. Si bien qu’aucun mot, aucun vocabulaire, ne dépeint avec rigueur ce qui s’est tramé. Le défi est à la mesure de l’immensité. Les concepts manquent. Les outils mathématiques sont à inventer.
On appelle cette zone de méconnaissance et d'ignorance, "l’Ère de Planck". Elle porte le nom du physicien allemand, prix Nobel 1918, qui fut l’un des pionniers de l’idée selon laquelle le cosmos évolue en échangeant l’énergie en forme de quanta. D’ailleurs, plus tard, le chanoine belge Georges Lemaître aura l’intuition d’un Univers primitif réduit à un unique "atome" d’énergie. Sa durée de vie vaut 10-43 seconde, un dix millionième de milliardième de milliardième de milliardième de milliardième de seconde!.. C’est la période la plus infime dont on puisse apprécier l’étendue. Au-delà de toute limite technologique, l’infiniment petit et l’infiniment grand se rejoignent. Il règne une température colossale de 1032 degrés : cent mille milliards de milliards de milliards de degrés... Des particules et des anti-particules éphémères apparaissent et disparaissent sans cesse. On parle de particules "virtuelles". Elles portent, chacune, un million de fois l’énergie d’une balle de fusil - un milliard de joules, 1028 électronvolts - ou la puissance produite en une seconde par une centrale nucléaire. Et des trous noirs évanescents font irruption avant de s’évaporer aussitôt.
Cordes et espace à 10 dimensions
Pourtant, quelques esprits audacieux s'aventurent à formuler des théories très spéculatives.
Selon la vision la plus en pointe, la manière la moins incertaine d’approcher de manière approximative cette époque est la suivante. Les quatre forces d’interactions universelles auxquelles nous sommes soumis se trouvaient fondues en une seule "superforce": la "supergravité" quantique. Temps, espace, matière et énergie étaient indiscernables. Puis soudain, une gigantesque fluctuation a fait sentir sa vigueur. Pourquoi ici, plutôt que là-bas ? Nul n’en sait rien. Selon certains, le cosmos essaie tous les possibles. Et l’Univers que nous habitons a comme mérite d’avoir été retenu par la sélection naturelle de la vie… Il ne serait, en définitive, que l’un des nombreux représentants de la multitude imaginables. Ailleurs, existent peut-être d’autres univers-bulles inscrits dans un "multivers". Toujours est-il qu’à l’instant crucial notre futur berceau, agité de distorsions, de courbures incontrôlables, s’est mis à enfler de manière démesurée. Cet espace n’a peut-être pas de bords ni de frontières tangibles. Ses dimensions pourraient d’ores et déjà s'avérer infinies. Mais sa densité est inconcevable. Il n'y a aucun lieu privilégié. L’expansion de l’espace se produit partout, dans toutes les directions à la fois, en même temps et au même rythme. Jusque-là le temps n’existait pas vraiment. Sa grandeur ne pouvait être clairement distinguée de celle de l’espace. Puis soudain, sa flèche a commencé à s’écouler. Du passé vers le futur. Et les fractions de seconde se sont égrenées…
Pas de particules élémentaires à ce stade. La matière n’a pas encore pris corps. Les précurseurs, croit-on, seraient des "cordes" soumises au règne de la "supergravité". Elles se propagent dans un espace à 10 ou 11 dimensions. Puis, les particules se forment et les dimensions supplémentaires - au delà des quatre usuelles ; trois d'espace et une de temps - "s'enroulent" sur elles-mêmes de manière serrée. De sorte qu'elles deviennent cachées et indiscernables. Seuls de nouveaux instruments, sensibles à la gravitation, ainsi que les accélérateurs en construction (LHC) ou futurs pourront tenter de les sonder ou de les explorer. Plus de la moitié de cette réalité, si elle existe, nous échappe. Indicible…
Mais ce n’est pas le seul scénario, d’autres parlent de notre monde comme d'une “membrane à 3 dimensions flottant dans un espace à plusieurs dimensions", ce qu’on appelle “origine” n’est qu’une collision d’une membrane de ce type avec une autre dans cet espace pluridimensionnel.
Des folles spéculations ? Oui, mais elles ont les caractéristiques de la science, car les expériences à venir, par exemple en ondes gravitationnelles, vont pouvoir scruter le temps plus près de l’origine. Ils pourraient entendre le “murmure de l’origine", départager ces scénarios.
Un principe boussole, le principe de symétrie
Vous l’avez compris, décrire l’origine n’est pas commencer par le plus simple. L’origine implique déjà tous les développements ultérieurs. Les Grecs utilisent le mot "arche" ( à la racine par exemple du mot archétype) qui dénote autant origine que principe. Un principe qui règle le cours des choses. Le philosophe Leibnitz (1646-1716) a dit qu’il suffisait d'un principe pour créer l’Univers à partir de rien.
Les règles du déploiement font partie intégrante de ce qui commence. Et ceci doit être surtout vrai pour une théorie cosmologique. Il y a d’un coté les lois de la physique qui règlent le déploiement de l’Univers et de l’autre les conditions initiales de l’Univers. Une théorie cosmologique scientifique doit inclure en son sein la description de ces conditions initiales. A la différence des récits cosmologiques antérieurs, produits par exemple par les différentes religions, il faut qu’elle évite de postuler des conditions initiales spéciales pour expliquer ce qui a suivi.
Là où les cosmologies antiques postulent des éléments primordiaux (eau, air, infini) dont les transformations font le visible, les cosmologues d’aujourd'hui sont guidés par des principes de symétrie (d’espace temps, des espaces internes, de phase etc.). Pourquoi ériger la symétrie au statut de principe tout puissant ? Parce que, au-delà de sa beauté esthétique, un état symétrique peut arrêter la chaîne des questionnements causales. Pourquoi ceci ? A cause de cela. Alors pourquoi cela ? etc…
Les anciens se demandaient "Pourquoi la Terre ne tombe pas" ? "Pourquoi reste-t-elle ici plutôt que là" ? Et Anaximandre répondait: "la Terre reste là où elle est car elle n’a pas où aller, où tomber". Il n’y a pas de lieu privilégié, les différents lieux se valent. Un principe de symétrie est aussi un principe d’indifférence. Voilà un principe de symétrie, principe cosmologique avant la lettre.
Aujourd’hui, en répétant ce geste dans nos théories, on fait commencer l’Univers par un état maximal de symétrie. Par exemple, les théories de cordes ont l’ambition de comprendre pourquoi l’Univers a 4 dimensions et pas plus ou moins, à travers une série d’arguments de type symétrique. Et le monde bigarré d’aujourd’hui, comment est-il venu de cet état primordial de symétrie maximum ? La réponse donnée jusqu’ici est simple, par une série de brisures de cette symétrie.
Rêve unitaire irréaliste ou vraie intuition de la composition de l’Univers ? Le futur tranchera.