L'AMOUR EXISTE-T-IL ?

NON !

L'amour est une grande illusion, un mythe dont nous n'avons que des formes substituées : la solidarité, la familiarité, la passion, l'érotisme...
-la solidarité n'est pas une affaire de cœur mais d'intérêt : on a tout à gagner à s'associer, on ne s'aime pas pour autant.
-l'amitié, c'est pareil
 : on n'aime pas ses amis, les amis sont ceux avec lesquels on a signé un pacte de non-agression.
-la morale légitime l'illusion en interdisant aux hommes de se haïr, comme s'ils pouvaient vraiment s'aimer.
-l'érotisme n'est qu'une nécessité biologique -qui est devenue politique, puisque le législateur, pour disposer de chairs à canon et de travailleurs, encourage la reproduction en accréditant les modèles qui font croire à l'existence de l'amour.
Ce désabusement mène à une notion de l'amour basée sur la confusion et le malentendu, qui permet à Carmen de dire "si je t'aime prend garde à toi" : on peut mourir d'amour, tuer par amour, aimer ses ennemis... L'amour peut signifier n'importe quoi, parce qu'aimer ne veut rien dire : l'amour n'est qu'une illusion, qu'un fantasme, ou, au mieux, une réalité à créer.




Les amours d'un bélier et d'une biche ont ému beaucoup de Chinois -quand des Français n' y ont vu que de la zoophilie...


OUI !

Le législateur SUIT les mouvements humains et politiques réels : il ne décide pas d'imposer aux hommes l'idée que l'amour est là ; c'est parce que les hommes ont des comportements amoureux que le politique fait des lois sur l'amour (mariage, association, etc).
Certains conçoivent encore l'amour comme une énergie subtile sise au fond du cœur, qui nous relie à tout. L'amour est une réalité, non une abstraction. Mieux : pas de vie réelle sans amour. L'amour est LA réalité.
Il est complexe -voire contradictoire, parce que les relations entre les êtres sont complexes : les amants, les enfants, les parents, les citoyens, Dieu (quel que soit l'être adoré sous ce nom), les bêtes, le monde, n'ont pas des rapports simples. Il y a plusieurs amours qui co-existent (en ce sens, l'amour simple et unique n'existe pas). Pour simplifier (parce que sinon l'amour nous dépasse et en parler est prétentieux), disons qu'il n'y a qu'un amour, duquel dérivent tous les autres (la solidarité, la familiarité, la passion, l'érotisme...) improprement appelés "amour". Ainsi, si l'on part de soi, l'attachement que l'on a pour le reste n'est qu'accessoire à l'amour de soi, principe de tout attachement. En ce sens, l'amour des autres est bien une illusion : on n'aime que soi, que pour soi. C'est son ego qu'on caresse quand on tend vers une relation affectueuse avec l'autre. Je suis un être-en-relation, je m'aime, donc j'aime la relation, donc j'aime cet Autre auquel je suis lié.
Et la sexualité ? L'amour pour l'orgasme parait bien loin de l'amour spirituel. Et pourtant, certains mystiques présents au débat affirment que l'orgasme spirituel existe. Ils parlent d'orgasme "cosmique", auquel chacun peut participer en aimant l'univers. Pourquoi pas ? Allons jusqu'à ressentir le Big Bang comme l'éjaculation du Tout-Puissant bien aimé : ça fait des milliers d'années que l'amour tantrique permet de trouver une dimension sacrée dans chacun, en passant ou non par la sexualité. Les parades amoureuses des animaux valent bien les notres, tous ces rituels sont des indices de l'existence de l'amour. L'érotisme est magique, d'ailleurs il crée la vie (ô miracle !), et il est un concept humaniste : nous avons droit au plaisir amoureux


Difficile d'analyser l'amour, un débat de deux heures ne suffit pas à s'en saisir, parce qu'en parler ça n'est plus le faire : ça se vit d'abord, on n'y pense qu'après. Ce n'est pas parce qu'il est inexplicable qu'il est inconnu. L'amour est comme le bonheur : dans le ressenti, formidable. On l'a en soi. Basiquement, le fait qu'on l'éprouve intensément dans la communion indique qu'il peut être conçu comme la capacité à se relier. Dont acte.






CITATIONS

''L’amour n’est rien d’autre que la Joie accompagnée de l’idée d’une cause extérieure.”
Spinoza Ethique III Definition des affects, 6. 11,98p.56
''Je voulais l’amour pur : niaiserie ; s’aimer, c’est haïr le même ennemi : j’épouserai donc votre haine.
Sartre. Les mains sales III, scène 2.
''Et si je connais, moi, une fleur unique au monde... qu’un petit mouton peut anéantir comme ça, un matin, sans se rendre compte de ce qu’il fait ? Ce n’est pas important ça ?
Si quelqu’un aime une fleur qui n’existe qu’à un exemplaire dans les millions et les millions d'étoiles, cela suffit pour qu’il soit heureux quand il les regarde. Il se dit “ma fleur est là, quelque part”.
Mais si le mouton mange la fleur, c’est pour lui comme si brusquement toutes les étoiles s’éteignaient.
Saint Exupery. Le Petit Prince.
''L’amitié consiste dans la mise en commun des joies.
Epicure. Cité in Diogène Laërce : Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres. II, ed° GF, 1965, p.25.
''Si on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant: “Parce que c’était lui, parce que c’était moi”.
Montaigne. Essais I, 28
''...Lorsqu’on estime l’objet de son amour plus que soi, on n’a pour lui qu’une simple affection, lorsqu’on l’estime à l’égal de soi, cela se nomme amitié ; et lorsqu’on l’estime davantage, la passion qu’on a peut être nommée dévotion.
Descartes. Traité des Passions. Art. 83
''“Je ne vous enseigne pas le prochain, je vous enseigne l’ami”
Nietzsche. Ainsi parlait Zaratoustra, I, “De l’amour du prochain”
''Ceux-là sont dignes d’être nos amis que rend aimables leur intime. L’espèce en est rare.
Ciceron.Lélius.XXI
''Que vous dire ? Vous contenez un peu de cette essence mystérieuse qui fait pour moi tout le prix de la vie et faute de laquelle j’ai désiré mourir. Amour ? Amitié ? Qu’importe le mot ? C’est un sentiment tendre et profond, un grand espoir, une immense douceur.
André Maurois.Climats II, 4.
''...L’essence de l’amitié consiste en ce que plusieurs êtres ont une même âme.
Ciceron Lelius XXV
''On lui demandait “Qu’est-ce qu’un ami?” -Il répondait: “Une seule âme résidant en deux corps”
Diogène Laërce: Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres. V, 20
''Chacun en effet aime son propre moi et ce n’est pas dans l’espoir d’obtenir de soi une rémunération de cet amour, mais parce que son moi lui est cher par lui-même. Si cette façon d’aimer ne sert pas de modèle à l’amitié, on ne pourra jamais être un véritable ami, car un ami vrai est pour son ami un second lui-même.” Ciceron. Lelius, XXI
''Seuls les hommes libres ont réciproquement, les uns pour les autres, la plus haute reconnaissance.
Spinoza. Ethique IV, Proposition 71. Trad. Misrahi
''La volonté du prochain est aussi indifférente à ma propre volonté que sa respiration et sa chair le sont aux miennes. Même en effet si nous sommes nés tout à fait l’un pour l’autre, nos facultés directrices ont chacune leur souveraineté propre ; sinon, le vice du prochain devrait être un mal pour moi, ce que Dieu n’a pas jugé bon pour que mon malheur ne dépendit point d’un autre que moi.
Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même. VIII, 56.
''Il ne faut pas juger en aimant, mais aimer après avoir jugé
Seneque Lettre à Lucilius I, 3,2 (sentence prêtée à Théophraste)
''Aimer c’est souhaiter pour quelqu’un ce que nous croyons être des biens, pour lui et non pour nous, et aussi être, dans la mesure de son pouvoir, enclin à ces bienfaits. Est notre ami celui qui nous aime et que nous aimons en retour. Se croient amis ceux qui sont dans cette disposition, l’un envers l’autre.
Aristote Rhétorique II, 4, 1380 b 35-1381a3).
''Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et avec toutes tes forces et tu aimeras ton prochain comme toi-même.
Mt 22, 37-40 et 12, 29-31, qui lie Deutéronome, 6,5 et Lévitique, 19,18.
''Chaque être humain a sa particularité, mais le fait d’être un homme est la qualification fondamentale.
Kierkegaard Les Œuvres de l’amour
''Dans la règle d’or de Jesus de Nazareth, nous retrouvons tout l’esprit du principe d’utilité. Faire ce que nous voudrions que l’on nous fît, aimer notre prochain comme nous-mêmes : voilà qui constitue la perfection idéale de la moralité utilitariste.”
Stuart Mil Utilitarisme II; 4è objection
''Agis de telle sorte que tut traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen.
Kant, Fondements de la métaphysioque des moeurs II Ak. IV, 429; Pl. II, 295
''...Encore que je me persuade qu’il y a par essence quelque chose de déraisonnable dans le sentiment amoureux, puisqu’il agrandit de façon si démeusurée l’image de l’être aimé qu’elle finit par occuper tout l’horizon de la vie, toutefois il faut bien convenir que dans les tourments mêmes que ce sentiment apporte, il y a quelque chose de délicieux, puisqu’il nous fait vivre tous les moments de votre existence avec une intensité qu’elle ne possédait pas avant l’apparition de l’amour.
Robert Merle. La volte des vertugadins, FORTUNE DE FRANCE.